JEUNESSE - Les mouvements de jeunesse

JEUNESSE - Les mouvements de jeunesse
JEUNESSE - Les mouvements de jeunesse

Dans la société de la propriété privée des moyens de production, l’enfant appartenait à ceux qui l’avait procréé. L’éducation familiale découlait du principe de la dépendance des enfants, de leur sujétion économique, de leur reconnaissance affectueuse. Noyau humain soumis, berceau de l’État, source et base de la grande société civile bourgeoise, la famille reproduisait l’ordre social, à la mesure de sa reconnaissance par l’État.

Au XXe siècle, l’éducation sort du domaine privé pour passer dans le domaine public. Mouvements, organisations de jeunes se développent dès le XIXe siècle dans les pays industrialisés, comme relais et tuteurs des jeunes, délégués par les adultes pour compléter l’éducation familiale déficiente et pour s’y substituer.

En opposition avec les formes très structurées des mouvements de jeunesse organisés par des adultes apparaissent des regroupements spontanés et plus souples dans lesquels les jeunes donnent corps, face à la société des adultes, à une sorte de subculture porteuse de valeurs spécifiques.

1. Groupements organisés par les adultes

Mouvements laïques, politiques et confessionnels

Les premiers mouvements et organisations de jeunes résultent des concentrations urbaines de population que l’organisation du travail provoque en Allemagne, en Angleterre, en France. Les organisations prévues pour les jeunes issus des couches populaires héritent partiellement de traits caractérisant l’organisation du travail. Les premiers patronages, préfigurés par l’association Saint-Louis de Gonzague, en France, groupent de jeunes travailleurs. Dès 1848, on trouve les «Jeunes apprentis» formés en bataillon aux côtés des forces de l’ordre; en 1850 paraît un bulletin, Le Jeune Ouvrier , dont l’inspirateur est à l’origine deux ans plus tard d’un congrès préparatoire des directeurs d’œuvres pour la jeunesse. L’Association catholique de la jeunesse française, fondée par le comte Albert de Mun en 1886, affirmera parmi les jeunes la doctrine sociale de l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII, au moment du ralliement catholique à la République.

La distinction faite en France entre mouvements laïques et confessionnels découle des conflits qui aboutissent à la séparation de l’Église et de l’État. Au début du XXe siècle, deux instances inspirent les mouvements de jeunesse: l’Église catholique et l’école laïque.

Pour sauvegarder une influence qu’elle croit compromise par la laïcisation de l’État, l’Église développe un réseau de groupements pour les agriculteurs, les étudiants et les ouvriers dont l’initiative puis la direction appartiennent au prêtre – la Jeunesse ouvrière chrétienne (J.O.C.) et la Jeunesse agricole chrétienne (J.A.C.) sont créées en 1919, la Jeunesse étudiante chrétienne (J.E.C.) en 1929.

Jean Macé estimait que «le savoir dispense la liberté». Le devoir d’un État est de répandre l’instruction: «Que le pays se couvre d’un réseau d’associations semblables à la nôtre, et nous aurons fait un pas dans la voie de la civilisation», écrit-il dans le manifeste de la Ligue pour l’enseignement public, laïque et obligatoire (1866). Après la campagne de pétition pour l’instruction obligatoire (1871-1872), des associations postscolaires et périscolaires d’éducation permanente sont mises en place peu à peu, suscitées et dirigées par des instituteurs.

Analyse typologique: encadrement ou éducation

Une typologie fait apparaître que les organisations confessionnelles ou laïques pour les jeunes, telles qu’elles se développent au XXe siècle, peuvent avoir une fonction d’encadrement ou une fonction d’éducation.

L’encadrement de la jeunesse peut relever, selon le régime politique, de l’initiative privée ou de la volonté délibérée de l’État. Par leur propre organisation, certaines fractions de la société maintiennent leur influence sur leurs jeunes. Les couches sociales dominantes peuvent également, par l’entremise du mouvement de jeunes, développer, en direction des jeunes de couches sociales dominées, leur propre idéologie. Mais dans la société bourgeoise démocratique, les tâches d’encadrement de la jeunesse appartiennent à l’initiative privée, en l’occurrence à des institutions reconnues par cette société.

En régime fasciste, nazi ou préfasciste (Italie, 1922; Allemagne, 1931; France après 1940), l’organisation unique de la jeunesse est imposée comme ciment de toutes les couches sociales dont l’État réaliserait l’unité.

En France, par exemple, les Chantiers de la jeunesse fondés en juillet 1940 se présentent tout à la fois comme «service national obligatoire» remplaçant le service militaire supprimé par l’armistice et comme moyen d’associer tous les jeunes de vingt ans à la «reconstruction du pays» par leur «propre formation virile». Dus à l’initiative privée de dirigeants d’associations catholiques qui, en juillet 1940 également, veulent rassembler tous le jeunes que les mouvements traditionnels n’atteignaient pas, les Compagnons de France, financés par le gouvernement de Vichy et aidés matériellement par l’armée, développent la mythologie de la Révolution nationale.

L’encadrement des jeunes, dans les organisations de type fasciste, repose sur la réalisation des désirs refoulés de la petite bourgeoisie. Le fascisme et le nazisme ne font que libérer des pulsions qui attendent, endormies en chacun. Ils ne sont pas seulement organisation socio-politique, mais une organisation hiérarchisée des instincts sadomasochistes défoulés dans l’agressivité.

L’éducation , la transformation sociale et collective par une réforme individuelle constituent au contraire l’objectif des mouvements de type libéral.

La réforme morale et physique: le scoutisme

Colonel de l’armée coloniale britannique, Baden-Powell organise une force de police pour la frontière nord-ouest de la colonie du Cap. Lorsque la guerre éclate avec les Boers, il défend la ville de Mafeking devant des forces supérieures en nombre. Pour pallier le manque d’effectifs, le chef d’état-major de la garnison, lord Cecil, a eu l’idée de former un corps de cadets dont il a fait des éclaireurs – en anglais: scouts – assumant des tâches de liaison, de garde, de signalisation. De cette expérience, Baden-Powell tire un manuel militaire, Aids to Scouting , puis, de retour en Angleterre, il s’intéresse aux Boys Brigades, s’efforce de compléter leurs activités et celles de la Young Men Christian Association (Y.M.C.A.) par la pratique de techniques «scoutes»: camping, pionniérisme, etc. L’adaptation du manuel militaire Scouting for Boys connaît à sa publication un succès extraordinaire auprès des jeunes. Après un stage préparatoire, le mouvement scout naît en 1908 en Angleterre, qui regroupe, un an après, soixante mille adhérents. Le mouvement a une audience internationale. En France, Pierre de Coubertin envisage une organisation analogue dans la Ligue d’éducation nationale qu’il dirige. Trois mouvements naissent: Éclaireurs de France (laïque), Éclaireurs unionistes (protestant), Éclaireurs français (neutre), tous trois masculins. Des mouvements féminins ne seront créés qu’après coup. En 1921, à son tour, l’Église catholique décide la création de la Fédération nationale des Scouts de France qui deviendra la principale organisation française.

Dans son livre, Baden-Powell définit ce qu’il nomme l’esprit des «éclaireurs en temps de paix». S’inspirant de l’exemple de personnages légendaires ou historiques (chevaliers du roi Arthur, Richard Cœur de Lion, Francis Drake et Cook), il mêle l’exotisme à l’esprit d’aventure. À Kim , roman d’un autre officier des armées coloniales britanniques, Rudyard Kipling, il emprunte de grands thèmes ludiques où le jeune tout à la fois s’amuse et remplit un rôle paramilitaire, après avoir accepté une loi et fait sienne une «promesse» qu’il devra tenir. La vie au grand air, au camp, l’art de suivre une piste, la connaissance des animaux et de la nature dans laquelle le scout est invité à retrouver l’intelligence de Dieu sont des éléments grâce auxquels l’«esprit chevaleresque des temps nouveaux» sera forgé. Les mouvements qui, à la suite de Baden-Powell, se réclameront du scoutisme adopteront ces principes en s’efforçant de se dégager de son moralisme militariste: la structuration du mouvement scout en groupes d’âge – louveteaux, éclaireurs, routiers – déterminant leur forme d’organisation et des types spécifiques d’activités est sans doute l’apport essentiel du scoutisme. Au point que même les organisations de jeunesse opposées au scoutisme – Pionniers, Faucons rouges, nés de la social-démocratie autrichienne; Vaillantes et Vaillants français d’obédience communiste – les lui emprunteront.

La réforme pédagogique : le pédocentrisme mitigé

La tendance au pédocentrisme domine le XXe siècle, renouant en cela avec la tradition émancipatrice du siècle des Lumières. Mais le poids du milieu social impose ce que Arnould Clausse, dans son Essai sur l’école nouvelle , nomme «pédocentrisme mitigé», c’est-à-dire que, si l’enfant est bien au centre d’une action développée à partir de lui, celle-ci demeure largement subordonnée aux intérêts et aux objectifs que la société lui fixe.

Les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (C.E.M.E.A.) lient leur activité à un mouvement social de masse, les centres de vacances pour enfants et adolescents pour lesquels ils forment des cadres pris parmi les jeunes et les adolescents préparés par des stages.

Fondés en 1937, après l’adoption de la loi sur les congés payés par le gouvernement de Front populaire, lorsque municipalités ouvrières et associations organisent le départ en vacances d’enfants et d’adolescents issus de milieux ouvriers, les C.E.M.E.A. empruntent d’abord aux pratiques scoutes. Ils développent ensuite leur propre pédagogie en étudiant le dépaysement de l’enfant et du jeune transplanté hors de son milieu familial et social. La pédagogie des groupes d’âge s’efforce à la fois de tenir compte des découvertes de la psychologie enfantine individuelle et de la psychosociologie.

La réforme gestionnaire: maisons et centres de jeunes

Le centre de vacances recompose une société microcosmique. Car mouvements et organisations de jeunes se définissent à la fois par des structures internes – les rapports des membres entre eux, les rapports qu’entretiennent ceux-ci avec leurs dirigeants – et par des structures externes – les rapports entretenus avec l’institution tutélaire.

Créée en France après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Fédération française

des maisons de jeunes et de la culture (F.F.M.J.C.) adopte une formule dont on trouve dans toute l’Europe des homologues (Jugendzentrum allemand...). Elle regroupe des institutions locales ouvertes aux jeunes d’un quartier, d’une commune ou d’un groupe de communes: une maison ou un centre de jeunes offrent des activités «pour aider chacun à découvrir en pleine liberté ses goûts profonds et pour épanouir sa personnalité».

L’organisation des loisirs pour changer la vie: l’ajisme

Un militaire fonde le scoutisme, un instituteur suscite le mouvement des Auberges de la jeunesse (A.J. – ajisme). Richard Schirmann transforme sa classe en dortoir, les jours de congé, et accueille des groupes de jeunes dès 1907, dans la Ruhr. En 1911, à Burg Altena, en Westphalie, il ouvre dans un vieux château la première «auberge» de jeunesse. Destinée d’abord à des enfants, elle intéresse bientôt des adolescents, étudiants et ouvriers. Cette initiative est suivie, des expériences analogues se développent dans différents pays d’Europe centrale, dans les pays scandinaves puis, après la Première Guerre mondiale, en Angleterre et aux États-Unis. C’est seulement en 1929, sous l’impulsion de Marc Sangnier, qu’une première auberge est ouverte en France, à Bierville, près de Paris. Puis Sangnier fonde la Ligue française pour les Auberges de la jeunesse tandis que, avec l’appui de la Confédération générale du travail, du Syndicat national des instituteurs, la Fédération générale de l’enseignement crée le Centre laïque des Auberges de la jeunesse. L’essor décisif est donné par les lois Léo Lagrange sur les congés payés et par une aide d’équipement.

L’ajisme laïque trouve audience auprès des jeunes de la petite bourgeoisie et du monde ouvrier, sous l’influence des courants communiste, socialiste, anarchiste. Avant la Seconde Guerre mondiale, profondément influencés par le pacifisme et le socialisme utopique de Jean Giono, des phalanstères tentent de se constituer dans le Midi de la France; ils n’ont pas survécu à la guerre.

L’ajisme reprend à son compte quelques-unes des pratiques du scoutisme, d’ailleurs pour les mêmes raisons que lui: camping, vie collective en plein air sont des moyens d’échapper aux pressions contraignantes du travail et de la vie urbaine. Le Mouvement laïque des Auberges de la jeunesse (M.L.A.J.) reconstitué après guerre se veut tout à la fois mouvement de loisir et d’éducation présyndicale et prépolitique.

Le M.L.A.J. se réfère à l’internationalisme prolétarien et à la lutte pour le socialisme. Au fur et à mesure d’une institutionnalisation imposée par les organismes de tutelle, le Mouvement perdra son aspect politique pour ne plus garder que son orientation de mouvement de loisir, secteur dans lequel il se trouvera fortement concurrencé par les entreprises commerciales.

2. Le problème de l’auto-organisation

La réaction contre la pédagogie autoritaire s’épanouit à la fin du XIXe siècle et s’inscrit dans un mouvement plus général dont trois aspects essentiels sont à retenir: l’émancipation du prolétariat, l’émancipation de la femme et l’émancipation de la jeunesse.

Pour les rousseauistes, l’enfant se développe «naturellement», en passant nécessairement par un certain nombre d’étapes connues. Cette loi de succession physiogénétique observée dans la nature veut que les enfants soient enfants avant d’être hommes; «chaque âge a des ressorts qui le font mouvoir», «l’enfance a des manières de voir, de penser, de sentir qui lui sont propres» et rien n’est moins sensé «que d’y vouloir substituer les nôtres» (J.-J. Rousseau).

Ce pédocentrisme radical cherchera des points d’appui du côté psychologique, social et biologique.

D’une part, il demande à la psychologie de dessiner un archétype mental idéal, que l’éducation aurait pour tâche de réaliser ou au moins d’approcher. D’autre part, il constate que tout individu est appelé à vivre en société. L’organisation (à l’école ou dans les mouvements de jeunes) est un apprentissage à la vie sociale. Enfin, phénomène mis en lumière par Ovide Decroly, l’interdépendance de l’être organisé et du milieu constitue un élément déterminant. L’être humain, sur le plan psychologique aussi bien que sur le plan strictement biologique, ne se réalise et ne se conçoit qu’en fonction d’une ambiance. Par l’éducation, il convient de permettre à l’enfant et au jeune de refaire tout le chemin parcouru par l’humanité (cf. dans le scoutisme, la référence au Livre de la jungle ). Dans la théorie de Decroly, les centres d’intérêt expriment et systématisent les tendances psychologiques.

Le mouvement de la jeunesse: l’exemple allemand

Au niveau le plus élémentaire, la bande spontanée que forment des jeunes dans la rue atteint sinon une fonction équilibrante, du moins de compensation, que l’institution pour jeunes trouve rarement, car le pédocentrisme radical semble incompatible avec une société fortement hiérarchisée, qu’elle soit capitaliste ou stalinienne. On connaît les expériences de A. S. Neill à Summerhill, en Angleterre, des Maîtres camarades de Hambourg, après 1920, dans le domaine scolaire. Le mouvement de jeunesse qui a marqué ces derniers apparaît en 1896. Karl Fischer propose à ses camarades d’un cercle de jeunes sténographes, à Berlin-Stegliz, d’organiser régulièrement des courses dans la campagne et des voyages à pied. Le cercle prend le nom de Wandervogel (oiseau migrateur): son effectif augmente rapidement (45 000 membres en 1914); presque toutes les villes du Reich ont leur section. Des organisations similaires se développent: Hamburger Wanderverein en 1905, Akademische Freischar en 1906, Akademische Vereinigung, etc., toutes Jugendbewegungen (mouvements de la jeunesse), c’est-à-dire formées par les jeunes et dirigées par eux, à l’opposé de la catégorie Jugendpflege (mouvement de protection de la jeunesse ou œuvres pour la jeunesse), dirigée par des adultes.

Le Wandervogel a connu plusieurs étapes. À l’origine, il apparaît quelque peu romantique: des adolescents rompent avec leur milieu, sorte de fugue collective; puis plusieurs adultes (notamment le pédagogue Wyneken) tentent d’infléchir le mouvement et d’en faire la théorie; enfin, le mouvement essaie de définir, de manière revendicative, une notion commune à ses membres, l’autonomie de la jeunesse.

Le mouvement refuse alors toute tutelle, les membres s’administrent et se dirigent seuls, le mouvement doit rejeter la «culture adulte», produire ses propres valeurs qu’il fonde sur la communauté d’âge; de tout cela découle le principe de l’autonomie pédagogique. Car la jeunesse ne doit plus être considérée comme valeur potentielle, suivant l’aptitude du jeune à devenir l’adulte souhaité par la société, mais comme valeur en soi: «On ne voulait plus seulement devenir quelque chose, on voulait devenir quelqu’un.» Bientôt le droit des adultes à éduquer la jeunesse est mis en cause, les jeunes pouvant s’éduquer seuls.

Le mouvement de la jeunesse est constitué de communautés comprenant des membres égaux en droits; localement, la tribu ou horde possède un responsable, un chef dont l’autorité repose sur une compétence reconnue par tous. Des tribus forment une ligue, la horde se réunit dans un «nid de ville», en voyage elle devient clan.

En 1913, l’unification des différents Jugendbewegungen aboutit à la création de la Freideutsche Jugend qui, en 1922, se scinde en Jungwandervogel, Deutsch-Christliche Studentenvereinigung, Freie-Sozialistische Jugend, Übernazionale Jugend, groupes qui représentent chacun des courants politiques rivaux.

Le mythe de la jeunesse

Les Hitlerjugend (Jeunesses hitlériennes) ont repris à leur compte l’exaltation de la jeunesse opposée au monde corrompu des adultes, substituant à la lutte des classes le conflit des générations, comme en Italie, avec l’hymne des jeunes fascistes Giovinezza, giovinezza .

Ce thème de la jeunesse qui réapparaît dans les années soixante s’appuie sur des données économiques, démographiques et sociales nouvelles: l’augmentation sensible du pourcentage des jeunes dans la population active, son importance dans la production du fait que les jeunes sont mieux préparés que les adultes à assurer dans les secteurs automatisés des responsabilités que la formation professionnelle leur réserve. La mode de la jeunesse se manifeste sous l’apparence d’une subculture (littérature, poésie, chanson, normes vestimentaires) qui doit autant à l’intervention des mass media manipulés par des groupes d’intérêts commerciaux, sinon plus, qu’aux modèles produits par les jeunes (en France, par exemple, l’émission radiophonique puis le magazine Salut les copains ). La jeunesse devient bientôt une valeur marchande, pour toutes les générations, ce qui n’était pas le cas trente ans plus tôt. Alors que cette exaltation à buts lucratifs de la jeunesse respecte néanmoins le statu quo social, les manifestations mondiales du début des années soixante ont exprimé une révolte instinctuelle et culturelle.

Aux États-Unis, vers la côte ouest, des communautés hippies tentent, dans la campagne, de vivre des valeurs esthétiques immédiatement réalisables. Elles se développent à partir de données que quelques courants du mouvement étudiant atomisé en Europe occidentale ont révélées: recherche de formes nouvelles d’organisation sociale (redécouverte des phalanstères), d’éducation, de sexualité. À Amsterdam, en 1966, les provos (provocateurs) anarchistes s’attaquent aux symboles de la «société de répression» (police, panneaux d’interdiction, etc.), auxquels, par des opérations spectaculaires, ils opposent leurs valeurs, les «happenings», le blanchiment des maisons et des bicyclettes (le blanc symbolise la mise en commun).

Parti de jeunes ou jeunesses de parti?

Le mouvement de la jeunesse socialiste naît sous la pression de l’exploitation capitaliste de la jeunesse laborieuse. Dans presque tous les pays d’Europe, des organisations de la jeunesse socialiste sont créées sans le concours des partis sociaux-démocrates et des syndicats. Ceux-ci voient même en elles une menace et tentent alors de leur imposer leur propre politique en exerçant sur elles une tutelle bureaucratique. Contre cela s’élève en Allemagne Karl Liebknecht, qui propose comme thème d’agitation auprès de la jeunesse la lutte antimilitariste (première conférence internationale des organisations de la jeunesse socialiste, Stuttgart, 1907) tout en défendant l’indépendance des organisations de jeunes. La guerre et l’attitude adoptée dans la plupart des pays par les partis sociaux-démocrates accentuent l’opposition entre partis et mouvements de jeunes, et après les conférences internationales de la jeunesse à Berne, en 1915, et à Iéna en 1916, une partie de la jeunesse développe une action politique propre.

Avec la naissance de la IIIe Internationale en 1919 et de partis communistes nationaux, les jeunesses révolutionnaires se modifient.

Les partis communistes veulent récupérer le rôle d’avant-garde joué autrefois par les jeunes.

En U.R.S.S. dans la période immédiatement postérieure à la Révolution, Lénine, dans un discours aux fédérations de jeunesses communistes, leur assigna comme tâche un triple travail d’éducation, d’agitation et de propagande pour que la jeunesse «tende à développer en elle la morale communiste, c’est-à-dire soit entièrement subordonnée aux intérêts de la lutte de classe du prolétariat».

Dans les pays capitalistes, la tâche des jeunes communistes est de s’implanter dans la jeunesse et de mener ses luttes à partir du programme de l’organisation adulte. Naturellement, la stratégie politique de ces mouvements n’est alors que la transcription de l’organisation adulte.

Vers 1930, Wilhelm Reich s’efforce de déterminer une Realpolitik de la jeunesse, qui est profondément atteinte par la répression sexuelle. Or, supprimer l’activité sexuelle des jeunes, c’est produire les structures caractérielles adaptées à l’asservissement politique, idéologique, économique. La fonction de cette répression est de fonder une culture autoritaire patriarcale et l’esclavage économique. La crise sexuelle devient alors une partie de la crise de l’ordre social bourgeois en général. Reich propose une politisation de la question sexuelle, la transformation de la rébellion sexuelle secrète ou ouverte en une lutte révolutionnaire contre l’ordre social capitaliste. Le Parti communiste allemand, acceptant les analyses de Reich, provoque la naissance d’une organisation de masse, la Sexpol, en 1931.

Selon les époques, le Parti communiste français a modifié la forme à donner à ses organisations de jeunesse. Après la Libération, l’Union de la jeunesse républicaine de France (U.J.R.F.) affiche dans son programme la lutte contre la réaction, milite «pour une république nouvelle vraiment démocratique», réclame un bon métier, une éducation générale dans des conditions qui peuvent permettre un développement satisfaisant. Le P.C.F. maintient l’existence d’une organisation autonome féminine, l’Union des jeunes filles de France, décide la création de l’Union des vaillants et des vaillantes (devenus en 1970 les Pionniers de France), distincte des patronages laïques, où sont implantés les socialistes. En 1956, le XIIIe Congrès du P.C.F. décide la transformation de l’U.J.R.F., qui a perdu son caractère d’organisation de masse, en quatre organisations distinctes: l’Union des jeunesses communistes de France (U.J.C.F.), organisée à l’échelle des quartiers, des villages, des entreprises, dans les établissements de l’enseignement secondaire et technique; l’Union des jeunes filles de France (U.J.F.F.); l’Union des étudiants communistes de France (U.E.C.F.), dans chaque université, institut et grande école; l’Union de la jeunesse agricole de France (U.J.A.F., actuellement Union de la jeunesse agricole et rurale de France). Cette séparation laisse une plus grande autonomie aux organisations qui sont néanmoins très contrôlées par le parti, mais en même temps elle isole les étudiants des jeunes ouvriers. Après le XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique, l’Union des étudiants communistes s’est partagée en plusieurs courants contre lesquels le parti lutte: il réunit des congrès parallèles, U.J.C.F. et U.J.F.F. pour réclamer une direction politique commune, des organisations à la fois autonomes et solidaires.

Le Parti socialiste S.F.I.O., après la Seconde Guerre mondiale, a rencontré les mêmes difficultés. Les Jeunesses socialistes (J.S.) luttent pour le socialisme, mais dans un cadre fixé par le parti, alors au pouvoir avec le P.C.F. Comme l’U.J.R.F., les J.S. veulent organiser les loisirs des jeunes, défendre l’école laïque et intervenir dans la vie politique. En mai 1946, l’Internationale des jeunesses socialistes est reconstituée. Les J.S. interviennent rapidement dans les luttes sociales, soutenant fréquemment des mouvements de grève contre la direction du parti. Elles tentent de constituer un Front laïque et antifasciste de la jeunesse, englobant tous les courants révolutionnaires (trotskiste y compris, malgré l’antitrotskisme du P.C.F.). Mais surtout, au moment de la grande grève Renault de 1947, les J.S. soutiennent à fond les métallurgistes de Boulogne-Billancourt. Le bureau national fut dissous par le parti. Les Jeunesses socialistes tentèrent alors de maintenir une organisation indépendante et révolutionnaire, mais elle disparut peu de temps après.

Mouvements d’enfants, souvent parallèles à l’école; mouvements d’adolescents pour les loisirs ou l’éducation; jeunesses politiques ou mouvements confessionnels s’efforcent à leur apparition de répondre à des besoins, de canaliser des aspirations que les transformations sociales et urbaines font apparaître, à une étape du développement industriel. Le passage à une étape nouvelle de ce développement révèle le vieillissement des mouvements et des organisations de jeunes.

L’apparition du mouvement lycéen prend là tout son sens. Quand il a pu conserver son autonomie (ainsi, en France, en mai-juin 1968, les Comités d’action lycéens), il a véritablement préfiguré la forme nouvelle d’un mouvement permettant la contestation individuelle de jeunes.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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